top of page
Rechercher

ALGERIE : les souvenirs que l‘on aimerait oublier

  • Vincent Lanata
  • 9 avr.
  • 4 min de lecture


Les relations de la France avec l’Algérie sont à l’ordre du jour, et elles enflamment une opinion majoritairement consternée par la faiblesse des réactions de notre gouvernement semble-t-il prisonnier de ses déclarations de repentance ainsi que de la crainte d’éventuelles réactions d’une population d’origine algérienne immigrée sur notre sol ; quoiqu’il en soit la faiblesse est toujours source d’avilissement et de perte de respect de soi-même ce dont notre pays pourrait aujourd’hui faire l’économie.

Je fais partie de ceux, jeunes officiers, pilotes de chasse, qui sont allés combattre sur cette terre, et qui ont vu nombre de leurs camarades donner leur vie pour la défense d’un territoire de la République, nous SERVIONS conformément à nos engagements

J’étais alors basé en Allemagne, notre unité était équipée d’avion américains, et nous faisions régulièrement des détachements de quelques jours ou plus sur la base de Boufarik aux environs d’Alger ou de Télergma à proximité de Constantine ; nous exécutions des missions de reconnaissance, ou d’appui feu. Nous étions également, pour une durée d’une année, détachés auprès d’escadrilles, parrainées par les escadres de métropole, équipées d’avions à hélice destinés à l’appui des forces terrestres sur le terrain ; nos missions n’étaient pas sans risque et de nombreux camarades ont été tués, j’ai moi-même été abattu par la DCA adverse.

Au cours de ce séjour, j’ai vécu l’épisode du « putsch » en avril 1961 ainsi que les convulsions qui ont précédé notre départ de cette terre sur laquelle nous avions laissé tant de sang. Lors des évènements d’avril 61, nous, aviateurs, avions été légalistes et nous l’avions affirmé si bien que nous étions rejetés par la population et il était fréquent de découvrir sur les murs de la base d’Oran des inscriptions comme : « Un aviateur de moins = un pas de plus vers l’Algérie Française ». Slogan mis à exécution car un officier supérieur, d’une grande valeur pour lequel nous avions une grande estime, fut froidement exécuté.

Comme mes camardes, j’ai été rapatrié en Allemagne vers l’unité à laquelle j’appartenais, et j’ai repris mon activité dans le cadre des missions de l’OTAN. De cette période, il me reste deux blessures qui, je le crois, ne guériront jamais.

La première est celle du sort inqualifiable que notre gouvernement a réservé aux Harkis, des hommes courageux qui s’étaient donnés à la France qui lui avaient fait une confiance aveugle, généreuse et désintéressée et qui ont été lâchement abandonnés à la vindicte des vainqueurs et au mépris de l’opinion française. C’est une tache indélébile dans notre histoire.

La seconde est l’attitude de certains hommes politiques en métropole qui, pendant toute la durée du conflit, ont pactisé et aidé matériellement dans la clandestinité ceux qui sur le terrain nous tuaient. C’est à mes yeux une honte.

S’agissant des harkis, la France n’a pas pu et n’a pas voulu leur apporter l’aide qu’ils auraient été en droit d’attendre ; elle s’est limitée à se référer aux prescriptions des accords d’Evian qui stipulaient dans son article 2 que « les deux parties s’engagent à interdire tout recours aux actes de violence collective ou individuelle » et qui ajoute, « nul ne pourra faire l’objet de mesures de police ou de justice, de sanctions disciplinaires ou d’une discrimination quelconque en raison : d’opinions affichées à l’occasion des évènements et émises avant le jour du scrutin d’autodétermination : d’actes commis à l’occasion des mêmes évènements avant le jour de la proclamation du cessez-le -feu »[1]

Dès notre départ, les massacres ont commencé, les hommes par dizaines de milliers  ont été torturés, souvent avec leurs familles, et la France les a lâchement abandonnés. Nous avions, jouxtant notre escadrille, une unité de harkis avec laquelle nous entretenions des rapports d’amitié : on allait les visiter, ils venaient nous voir et nous échangions de grands moments d’amicale convivialité. Cette harka avait à sa tête un homme magnifique, bardé de décorations acquises sur les champs de bataille où notre pays l’avait engagé, il s’appelait Djilali : il a été crucifié sur le portail de sa harka, et il est mort dans des souffrances atroces : ne fut-ce que pour le sort de Djilali, nous devons avoir honte et j’ai honte. Mais nous avons fait mieux, les quelques harkis qui sont parvenus à rejoindre la métropole grâce à l’aide d’officiers courageux qui bien souvent ont enfreint les ordres (ils furent malheureusement trop peu nombreux à se révolter), ont été lamentablement traités à leur arrivée en France, en les parquant dans des camps insalubres, en les cachant bien souvent pour les soustraire à la vindicte populaire, en ne leur accordant enfin aucune marque de gratitude qu’ils auraient été en droit d’avoir. Le, les pouvoirs politiques qui se sont succédés ont été lamentables et ce ne sont pas les pleurnicheries d’aujourd’hui théâtralement déclamées qui peuvent racheter cette honte. Notre Nation a une face cachée de lâcheté, de délation et bien souvent de violence dont il faut prendre conscience et la dénoncer[2], il y va de notre honneur.

L’honneur : pendant que nous, jeunes de France qui faisions notre devoir sur le terrain, en métropole, des hommes politiques menaient un combat clandestin en apportant une aide matérielle par la fourniture de moyens financiers voire d’armement à ceux que nous combattions. Ces hommes et quelques femmes, dont certains ont fait par la suite de une carrière politique, ont sur les mains le sang de jeunes français. Autant le combat politique est-il légitime lorsqu’il a lieu dans le cadre de débats démocratiques qui permettent les affrontements d’idées qui peuvent conduire à des orientations politiques nouvelles, autant ces actions clandestines pour lesquelles les intéressés ne couraient aucun risque, sont méprisables.

La période actuelle qui place les relations franco-algériennes sur le devant de la scène, fait réapparaitre des souvenirs, des sentiments, des frustrations, des blessures que le temps avait un instant, occultés mais qui restent présents et qu’il faut, me semble-t-il quelques fois, remettre en pleine lumière et regarder en face : ce que je viens de faire.

 

Vincent Lanata 9 avril 2025

 


[1] Ces prescriptions ne concernaient pas uniquement les supplétifs, mais ils étaient directement concernés.

[2] C’est ce que j’ai fait dans un billet qui peut être consulté sur mon site : vincentlanata.com

 
 

Posts récents

Voir tout
Lettre à Emmanuel Macron

28 février 2017   À la lumière de nos relations actuelles mouvementées  avec l’Algérie, l’auteur souhaite republier cet envoi au candidat...

 
 
Beaucoup de bruit pour rien

(William Shakespeare)   La France, que dis-je, l’Europe et peut être le monde sont en émoi ! Pensez-donc, le Parlement européen se...

 
 
bottom of page