La face cachée
- Vincent Lanata
- 20 mai 2020
- 6 min de lecture
Sait-on ce qui se cache derrière l’apparence d’un être humain ? Sait-on ce qui se cache derrière une façade brillante, un physique attirant, derrière des propos bienveillants et rassurants, derrière des élans de bonté et d’altruisme ? Combien de couples ont fait d’amères découvertes après quelques années de vie commune en faisant enfin connaissance avec la face cachée du partenaire ; il en est ainsi dans les relations amicales.
Un dicton précise que « pour connaitre quelqu’un il faut avoir consommé avec lui un baril de sel !».
Il en va de même des nations ; chacune d’elles possède sa propre personnalité, son histoire, ainsi que l’image qu’elle espère donner au monde ; s’agissant de la nôtre, elle est celle du droit d’asile, de la liberté, de la tolérance, de l’égalité entre les citoyens, des droits de l’homme et elle a été dans notre histoire celle qui a porté très haut le respect de la vie humaine. Aujourd’hui à l’occasion de la crise sanitaire qui nous a contraints à une sorte de détention, nous avons pu réfléchir, prendre du recul et peut-être tenter de remettre en cause les grands slogans qui nous caractérisent, et peut-être aussi dénicher ce que nous avons caché, et que nous ne voulons pas voir dans le cours de notre histoire, en un mot tout ce qui peut porter atteinte à notre image.
La personnalité d’une nation a ses côtés attachants mais aussi ses vices cachés ; c’est ainsi qu’elle traverse les siècles, et j’ai la conviction que les qualités et les défauts qui sont les siens sont immuables. Malgré le temps qui passe, malgré l’évolution de la société, malgré les différents régimes politiques qui ont été les nôtres, la nature de l’homme ne change pas, et partant celle de la nation non plus. Aussi, derrière la noblesse des prises de position et des actions, voit-on également réapparaitre les côtés les plus sombres de notre personnalité nationale.
Il y a dans notre histoire, des faits qui ne plaident pas en notre faveur et que nous avons tendance à occulter car ils jettent sur notre prestige une ombre malsaine. Ce qui est le plus choquant, c’est que nous sommes en permanence en train de donner des leçons au monde entier, avec des trémolos dans la voix et la main sur le cœur. Il n’est pas discutable que nous sommes une grande nation chargée d’histoire, qui a été, et qui reste à maints égards un exemple et un guide pour le monde, mais ceci ne doit pas nous empêcher d’être lucides et de conserver l’esprit critique quant à sa vraie nature.
Il faut bien reconnaitre que nous sommes une nation de délation et de violence
S’agissant de la délation, je n’en veux pour preuve que lors de la rafle honteuse dite du « Vel d’hiv » le 16 juillet 1942, certaines concierges et gardiens d’immeubles, ainsi que de bons citoyens n’hésitaient pas à dénoncer aux gendarmes et policiers chargés de cette sale besogne les appartements qui pouvaient être occupés par des juifs et qui n’avaient pas encore été visités. Ce fut également le cas à la libération du territoire en 1944 où nombre d’innocents furent dénoncés comme « collaborateurs » et livrés à la vindicte populaire qui s’exerça dans tout le déchainement de sa rigueur et sa haine. Aujourd’hui encore la délation est un sport national, pour s’en convaincre il suffirait de s’adresser aux services fiscaux.
Mais ce qui est pire, c’est le déchainement de la violence et de la haine populaire qui se déverse lors de certains épisodes de crise comme un tsunami impossible à arrêter. Pour l’illustrer, il suffit de lire les pages consacrées à la période de la « Terreur » avec l’attitude des « tricoteuses » assises au premier rang de la salle du tribunal révolutionnaire, pour s’en convaincre encore, il suffit de lire la façon dont a été traitée la famille royale dans la prison du Temple, aux enfants que l’on a arrachés à leur mère, au malheureux dauphin confié à une famille d’ivrogne. Que dire des exécutions sommaires après un jugement hâtif et de pure forme du tribunal révolutionnaire, que dire encore près d’un siècle plus tard lors du dramatique épisode de la Commune qui a vu entre autres pendant des jours à Paris se consumer des buchers chargés de milliers de cadavres ?
Rien ne peut justifier de tels débordements lorsque l’on prétend appartenir à une nation qui est l’auteur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans des périodes d’exception, des excès incontrôlés sont légion que ce soit sur notre territoire ou à l’étranger, Mao Tse Tong ne disait-il pas lorsque était évoqué devant lui la cinquantaine de millions de morts de sa révolution : « Une révolution n’est pas un dîner de gala ! », nous ne pouvons pas prendre à notre compte une telle affirmation car la Chine n’a dans son histoire, et encore aujourd’hui, jamais été le chantre des droits de l’homme.
Mais plus proche de nous, pour en revenir à la «libération » en1944, que dire du sort qui a été réservé aux malheureuses femmes convaincues d’avoir eu des relations avec l’occupant : ces malheureuses jetées à la vindicte populaire, exhibées, tondues en place publique par des soit disant résistants lâches et avinés ; qu’avaient-elles fait ? Par nécessité matérielle, par inconscience, par besoin, peut-être par amour tout simplement ? De tels excès sont-ils tolérables de la part d’une nation qui se veut par ailleurs irréprochable ?
Que dire également, toujours à la « libération » de ceux qui tout à coup se sont découverts être des « résistants » ? A ce sujet il y a un film plaisant, « Au bon beurre », une œuvre de Jean Dutour avec Roger Hanin qui montre bien le côté veule des individus dans cette période troublée. Ce qui est plus grave c’est que ce fut un sport national à cette époque qui conduisit à combien de victimes innocentes.
Il pourra être répondu que de tels agissements étaient dus au défoulement d’une population opprimée qui vient d’être libérée : à mes yeux ce n’est pas une excuse car ils montrent les bas instincts de la nature profonde de l’homme et partant ceux de la nation.
Tous ces exemples, et on pourrait en citer bien d’autres, sont aujourd’hui lointains, et on pourrait supposer que c’était hier mais qu’aujourd’hui il n’en va plus de même. Il n’en est rien, les vieux démons réapparaissent toujours, sous une forme différente, peut-être moins agressive envers la vie humaine, plus discrète, plus sournoise mais le fond reste identique.
N’assiste-t-on pas aujourd’hui à l’orée de la sortie de la crise sanitaire au développement d’une atmosphère de suspicion et de haine envers ceux qui sont au pouvoir, par des dépôts de plaintes ainsi que par des menaces de règlements de comptes ce qui a pour effet de paralyser l’action publique. Un hebdomadaire vient à cet égard de titrer : « Surenchère judiciaire autour du covid-19, Cette soif de coupables ». Il y aura bien entendu la création de commissions d’enquêtes qui statueront sur les responsabilités des uns et des autres, ce qui est dans l’ordre normal des choses, mais ces menaces ainsi que cette suspicion génèrent une atmosphère délétère alors qu’il faudrait que toutes les énergies soient mobilisées afin de lutter ensemble contre le fléau, ce qui n’exclut pas l’identification ultérieure de ceux qui auraient failli dans leurs fonctions de responsable.
Autre fait, qui, bien qu’isolé mais répétitif, montre bien que les vieux démons finissent par refaire surface en révélant des aspects funestes de la nature profonde de certain individus qui s’inscrivent dans le droit fil des turpitudes de la nation : il s’agit des menaces adressées par leur voisinage à des soignants, pourtant célébrés bruyamment chaque soir, leur enjoignant de quitter leur domicile par crainte de la contagion. De telles menaces sont totalement inadmissibles et auraient dû faire l’objet de diffusions régulières par les médias qui ont simplement signalé l’information alors qu’il aurait fallu les passer en boucle avec des commentaires sévères dénonçant le côté ignoble de telles manoeuvres.
S’agissant de la violence de notre société, on aurait pu imaginer que cette notion ferait partie du passé : il n’en est rien. Lors de la crise dite « des gilets jaunes » on a assisté à un déferlement de violence que nul n’aurait raisonnablement imaginé, avec le saccage entre autres de l’Arc de Triomphe, haut lieu de la mémoire de notre histoire. Par la même occasion, ces violences affectèrent les commerces sur les Champs Elysées, où les manifestants s’acharnèrent sur les kiosques à journaux en les incendiant montrant par là leur mépris pour la liberté d’expression.
Le paradoxe d’une nation est que le plus noble côtoie bien souvent le plus vil. Il est tout à fait légitime de célébrer les gloires ainsi que le génie de la nation et de mettre en exergue le courage, l’intelligence, l’énergie, l’esprit d’entreprise, la noblesse des actions mais il ne faut pas en profiter pour passer sous silence les côtés moins glorieux, plus sombres, moins avouables, que j’ai évoqués ; il est de l’honneur de la nation toute entière de les dénoncer et de les contre battre.
Il conviendrait cependant de rester lucide : dénoncer haut et clair les turpitudes enracinées depuis des siècles, les combattre, devrait rester un impératif, mais en ayant cependant à l’esprit que ce combat sera très difficile et qu’il aura de grandes chances d’être perdu d’avance.